Navire PYTHEAS - Transatlantique 2024 - départ du Port de carnon (34)

Les traversées

Ponta Delgada, São Miguel (Açores)
> Queensway Quay Marina, Gibraltar

16 juillet > 23 juillet _ durée : 7 jours

La traversée des Açores vers Gibraltar commença dans une ambiance légère, le lendemain de l’anniversaire de Selim. La petite copine de Lucien « Lou », rencontrée la veille, est venue avec son papa nous dire au revoir. À peine les lignes de pêche mises à l’eau, nous frôlions déjà la catastrophe : un puffin cendré — ce grand oiseau des mers qui plane des heures entières au ras des vagues — manqua de se transformer en prise du jour. L’oiseau échappa de justesse à notre hameçon, et nous, un peu honteux, rangeâmes aussitôt le matériel. 

Après quelques jours où la routine s’installe : cuisine, quart, petit film du soir, rebelote… Au bout d’une semaine, la suite se fit plus sérieuse : nous approchions de la zone dite « des orques ». Ce mot seul glace le sang des marins qui doivent rentrer ou sortir de la Méditerranée depuis quelques années. Même aux Antilles, le sujet revient dans toutes les conversations entre navigateurs « transateux », comme une épée de Damoclès suspendue au-dessus de chaque transatlantique retour. Alors nous avons revu notre protocole en boucle : qui fait quoi quand on sera dans la zone ? Où se trouvent les gilets des enfants ? La VHF portable est-elle prête et chargée en cas d’urgence ? Tout le monde répétait son rôle comme lors d’un exercice d’incendie. Même les enfants ont été mis à contribution : « préparez un sac d’urgence avec l’essentiel ! Deux jouets et quelques doudous. » Quelques minutes plus tard, ils revinrent triomphants… chargés de quatre sacs-poubelles 50L bien tassés, du cartable avec règle et crayons, et, cerise sur le gâteau, l’intégralité des LEGO. Autant dire qu’il fallut reprendre calmement la notion de « strict minimum ». Bref, les sacs en cas d’évacuation d’urgence étaient prêts et bien rangés. 

À trois jours des côtes, ce fut un tout autre drame qui s’invita. La mer était calme, l’aube tranquille, la routine installée. Selim lança la cafetière, Lucien réclama des œufs au plat (il aurait accepté les tartines, le dénouement aurait été tout autre. Snif !). Je m’exécute, penchée sur le frigo pour remettre en place une sauce vagabonde qui me bloque la boîte à oeufs. Et là, soudain, une vague secoue le bateau. La gazinière, pourtant suspendue pour suivre la gîte, se bloque net. La porte du frigo l’aurait-elle gênée ? Résultat : le café bouillant, fraîchement prêt, se renversa sur moi, du front au menton. Brûlure immédiate. Je me relève en hurlant, et passe immédiatement la tête sous l’eau froide, tandis que la peau de ma joue se décolle instantanément. Heureusement, l’œil n’est pas passé loin, mais intact ! Selim sort les sacs de premiers secours : Flammazine, pansements, appel immédiat au CCMM. Le médecin confirme : brûlure au second degré. Inutile de se dérouter, les premiers gestes ont été correctement réalisés, mais vigilance absolue et maintient de la plaie constamment humide pendant 7 jours. Et surtout « un an sans soleil ! »… En voilier, c’est un peu mission impossible non ? Voilà qui compliquerait un peu la vie d’une voyageuse au long cours… mais au moins, l’œil et les tissus profonds avaient été épargnés.
Les deux jours suivants, nous vidâmes presque toute notre pharmacie pour maintenir une couche « mouillée » sur la peau… Plus de Flammazine ? On sort les tulles grasses, on rajoute de la Biafine par dessus quand ça commence à sécher. Les réserves s’amenuisent… À terre, il faudra vite trouver de la vaseline. En parallèle, j’appelle Joël, coupeur de feu et ami de mes parents, a accompagné à distance mes soins pour limiter les cicatrices. Et fait autant, je n’ai jamais jamais jamais ressenti la moindre douleur ensuite.

Outre l’accident, les jours suivants furent marqués par une vigilance de tous les instants. Tankers par dizaines, radars hurlant dans toutes les directions, impossible de relâcher la garde. Les quarts n’étaient plus une affaire de pilotage, mais de surveillance obstinée. Puis vint l’épreuve la plus redoutée : l’entrée dans la zone orque. À l’aube, boule au ventre, nous scrutions chaque vague, chaque ombre. Moi, emmitouflée sous foulard, casquette et lunettes — tel un touareg en mer — pour protéger ma brûlure du soleil, j’écoutai la VHF saturée d’alertes. Plusieurs appels « pan pan » crachotés, incompréhensibles. Nous apprîmes plus tard qu’il s’agissait d’un bateau de migrants en panne de moteur, finalement secouru.

Heure après heure, nous progressions, tendus, jusqu’à atteindre enfin la fameuse ligne des « 20 mètres » de profondeur. En théorie, les orques n’attaquent plus si près des côtes. Théorie ou pas, nous avons poussé un immense soupir de soulagement. À quelques miles au sud, d’autres voiliers les ont vues. Nous, rien. Lucien, un peu déçu de ne pas apercevoir ces géants noirs et blancs. Nous, ravis de les avoir évités.

Restait le dernier obstacle : Gibraltar. L’arrivée se fit au milieu d’une véritable ville flottante. Tankers immobiles, cargos manœuvrant, remorqueurs affairés… Notre petit voilier paraissait soudain minuscule. L’eau, épaisse et grise, contrastait cruellement avec la limpidité des Açores. Mais surprise : dauphins et thons s’y donnaient rendez-vous par dizaines, bondissant entre les coques géantes, comme s’ils s’y réfugiaient à l’abri des orques. Une dernière pirouette de la nature avant la terre ferme.

Amarrés enfin dans le port, nous découvrîmes deux places plus loin un voilier anglais, moins chanceux que nous : son régulateur d’allure et son safran avaient été littéralement tranchés en deux par une attaque d’orques. Pour nous, c’était une certitude : nous avions eu de la chance. Beaucoup de chance. 

Pour pouvoir profiter de la suite du séjour – sans soleil, Selim m’improvise un masque dans un tee-shirt UV. Look douteux, certes, mais protection efficace — et peut-être le début d’une nouvelle tendance mode.

Saint-Georges (Bermudes)
> Port Lajes das Flores, Florès (Açores)

29 mai au 10 juin _ durée : 12 jours

C’est parti pour 12 jours de navigation entre les Bermudes et les Açores ! La latitude des Bermudes est, paraît-il, parfaite pour une transatlantique retour : on attrape les vents des dépressions venant de l’ouest tout en restant à l’abri, sous l’aile protectrice de l’anticyclone des Açores. Et comme pour nous souhaiter bon voyage, une belle dépression se forme le 29 mai, juste dans le timing. Conditions idéales donc, et cette fois encore nous ne sommes que quatre à bord – autant dire que chaque paire de bras compte double.

Les premiers jours se passent comme dans les manuels de navigation, si ce n’est deux petites surprises qui rappellent qu’on n’est jamais tout à fait maître à bord. La première : Célian éteint accidentellement le pilote automatique. Selim, qui faisait une sieste méritée, remonte sur le pont juste au moment où tous les écrans s’éteignent. Dans son demi-sommeil, il se dit : « Tiens, les voiles passent en contre… le vent aurait tourné ? » Mais non, on est toujours en plein Atlantique, c’est juste que nos deux apprentis-mousses jouaient un peu trop près du tableau électrique. Bouton sur “off”. Mystère résolu. La deuxième surprise est moins bénigne : la rotule du pilote lâche. Je saute à la barre le temps que Selim, alias MacGyver, sorte sa panoplie – racloir en plastique, scie circulaire et une bonne dose d’ingéniosité – pour bricoler une nouvelle pièce. Une heure plus tard, miracle : on est de nouveau en pilote automatique.

Entre deux émotions, les enfants lancent leur grande opération “message in a bottle” : une lettre, une présentation, deux dessins, le tout avec leur adresse mail. On attend encore de savoir si un goéland connecté nous répondra un jour.

À partir du cinquième jour, les choses changent. L’anticyclone, facétieux, décide de remonter plus au nord, et avec lui s’évanouissent nos espoirs de vent soutenu. Résultat : trois jours de calme plat, mais d’un calme si parfait que l’océan se transforme en miroir. Un lac infini, bleu et vivant, peuplé de dauphins qui viennent jouer quotidiennement à l’étrave, parfois même plusieurs fois par jour. Le spectacle est tellement saisissant que nous en oublions presque l’absence de progression.

Le dernier jour, comme pour nous récompenser de cette lenteur contemplative, une rencontre improbable : nos amis d’Oukiva, croisés déjà à plusieurs escales, apparaissent sur l’horizon. On s’appelle sur la VHF, on échange des nouvelles, puis nos routes se séparent – eux pour Faial, nous pour Flores.

Et soudain, après 12 jours de mer, la terre ! Flores, l’île la plus à l’ouest des Açores, surgit à l’horizon. Nous pensions n’y rester que deux ou trois jours, histoire de réparer l’enrouleur de génois, mais très vite nous comprendrons que ces îles ont bien plus à offrir. Finalement, même ce calme plat, que nous redoutions tant, restera gravé dans nos mémoires comme un moment suspendu, hors du temps – et, oserais-je dire, un luxe que peu de navigateurs goûtent avec autant de dauphins pour compagnie.

BVI > Saint-Georges (Bermudes)

13 au 20 mai 2025 _ durée : 7 jours

Sept jours de mer pour notre première “grande” traversée à quatre seulement : l’excitation se mêlait à un léger vertige, un peu comme lorsqu’on monte pour la première fois dans un manège en se demandant si l’on survivra à la boucle.

L’affaire commence innocemment : une ligne à l’eau, un premier petit poisson qu’on décide de relacher, et soudain le trophée de notre traversée – un beau thon, le plus beau jamais pêché à bord. Trois repas somptueux plus tard – filets au four, version poêlée puis ultime déclinaison en pâtes – nous avions presque l’impression d’avoir embarqué un chef étoilé. Le reste du temps, la routine s’installait doucement : lectures, devoirs, un peu de veille, et le soir, quelques épisodes de notre série fétiche (aka Stargate). Une vie simple et presque confortable, comme si l’Atlantique s’était transformé en salon flottant.

Mais à mi-parcours, toujours une ligne de pêche à l’eau et l’espoir d’un dîner iodé, Neptune avait d’autres projets. Très vite, la traversée prend des allures de thriller : orages en embuscade, éclairs zébrant le ciel, et l’un d’eux qui s’écrase si près qu’on a juré sentir le bateau frissonner. Tout l’électronique s’éteint puis redémarre d’un coup, comme une salle de contrôle après une coupure de courant. Selim, pragmatique, conclut que s’éloigner un peu serait une excellente idée. Étonnamment, personne ne s’y oppose. Surtout pas Lucien qui tremblait déjà comme une feuille à la simple évocation du mot « orage »…

Pour faire bonne mesure, nous improvisons une cage de Faraday maison. Tout ce qui a des boutons et des piles disparaît dans… le four. En théorie, nous étions protégés. En pratique, nous prions pour que la foudre n’ait pas l’idée saugrenue de tester notre inventivité, car perdre un GPS au milieu de l’Atlantique n’a rien d’un jeu de piste.

Dans la fuite, un détail nous échappe : la ligne de pêche. On l’avait oublié ! Du coup, ce qui devait arriver arriva. Elle s’enroule joyeusement autour de l’hélice. L’orage se calme un instant, juste assez pour permettre à Selim de plonger couper le fil. Trente minutes de lutte aquatique pour lui, trente minutes d’apnée d’angoisse pour nous, suspendus au-dessus, guettant son retour comme on attend le héros à la fin d’un film catastrophe.

De nouveau en route, nous jouons à cache-cache avec les masses orageuses, radar à l’appui. Le ciel nous encercle, grondant, jusqu’à ce que Selim repère une ouverture. Nous fonçons… et soudain, rideau ! Les nuages s’écartent avec une théâtralité toute hollywoodienne, laissant jaillir un soleil éclatant. Générique de fin, musique triomphale, et tout le monde respire enfin.

Le bilan ? Pas de poisson, certes, mais des nerfs d’acier et un moteur libéré. L’arrivée aux Bermudes, par le corridor maritime qui mène à Saint-Georges, a un parfum de victoire. Et cerise sur le gâteau : au mouillage, qui retrouvons-nous ? Nos inspirateurs, les inénarrables Oukiva, comme une boucle qui se referme sur cette première grande aventure.

Diverses traversées

Nous avons enchaîné les traversées dans les Caraïbes comme d’autres enfilent les perles : Martinique–Grenadines, sauts de puce entre les îles des Grenadines, remontées au près si violentes qu’on aurait juré vouloir arracher le mât, retour aux Grenadines, puis Guadeloupe, Antigua, BVI… Bref, un joli tracé en zigzag, parfois volontaire, parfois dicté par Éole. Mais au milieu de cette routine de voileux endurcis, certaines anecdotes resteront gravées dans nos mémoires.

> Il y eut d’abord l’alerte tsunami au large de la Jamaïque, alors que nous remontions vers la Martinique avec Florence et Jean-Luc. Peu d’informations, beaucoup de points d’interrogation : « On continue ? On attend ? On fait quoi ? » Trente minutes plus tard, la terrible nouvelle tombe : des vagues de… trois mètres sont annoncées. Autant dire, en pleine mer, du pipi de chat. Ça ne valait même pas la peine de s’inquiéter !

> La rencontre magistrale avec les cachalots au départ de Saint-Vincent avec Paula. Un ballet marin d’une grâce infinie : geysers, queues majestueuses, sauts au loin… jusqu’à ce qu’un groupe décide de nous couper la route. Petite marche arrière en urgence pour ne pas transformer notre étrave en bélier, et hop, les voilà repartis. Une heure plus tard, comme si l’océan voulait s’assurer que nous étions comblés, les baleines de Cuvier sont venues exhiber leurs museaux balafrés. National Geographic n’avait qu’à bien se tenir.

> Et enfin, le chapitre barracuda, écrit avec Shirine. Un premier pêché en quittant la Guadeloupe, un second à St Barth. Leur problème ? Leur physique… disons intimidant. Le mien ? Une peur panique de ces bestioles à la dentition trop bien fournie. Résultat : le pauvre a fini assommé net, victime involontaire de mon lancer un peu trop énergique au moment de le remettre à l’eau. On n’a pas osé lui expliquer que ce n’était pas personnel.

São Vicente (Cap Vert) > La Barbade

30 Décembre au 14 Janvier _ durée : 15 jours et 8 heures

Après un ravitaillement marqué par une chasse aux œufs improbable – sérieusement, dix œufs maximum par famille au supermarché ! – et un alternateur qui nous a donné du fil à retordre jusqu’à la dernière minute, nous avons levé l’ancre le 30 décembre, juste avant le réveillon. On ne va pas se mentir, l’excitation était à son comble. L’Atlantique nous attendait, et on était prêts (ou presque) à relever le défi !

La traversée a pris tranquillement son rythme : des quarts de nuit sous un ciel étoilé (et son lot d’étoiles filantes), des poissons volants qui atterrissent sur le pont (parfois dans des grands boum! qui nous faisaient sursauter en pleine nuit), et des moments de détente au milieu de nulle part. On a même découvert les joies des douches à l’eau de mer sur le pont  pour préserver nos réservoirs: rafraîchissant et garanti sans gaspillage !

Niveau pêche, on a commencé en fanfare avec une belle dorade, mais après ça… silence radio. Les poissons ont visiblement décidé de nous snober, ou alors les Sargasses nous accrochaient. Pourtant, on a mis le paquet avec des leurres maison qui, on l’avoue, étaient franchement stylés. Malheureusement, soit ils ont mordu plus gros qu’eux, soit ils ont trouvé notre matériel un peu trop léger. Résultat : cinq leurres perdus et beaucoup d’histoires de « celui qui a échappé ». Bref, les poissons nous ont mis la misère.

Côté météo, on a eu de la chance avec un temps superbe tout le long. Le seul bémol : quatre jours de pétole donc 4 jours de moteur sur une traversée qui se veut en voilier. Sérieusement, ça fait râler ! Cela dit, cette pétole nous a permis de faire des pauses baignade en plein océan : plonger dans l’Atlantique au beau milieu de nulle part, c’est une expérience inoubliable.

À bord, l’ambiance était au beau fixe (presque tout le temps). Lucien, en pleine forme, a pris son rôle de petit élève très au sérieux. On a même trouvé agréable de faire classe ! Et pour les repas, on a rivalisé d’imagination : pizzas maison, gratin de courges coco, riz au lait aux litchis… tout ça avec des réserves qui fondaient à vue d’œil et des enfants qui avaient visiblement décidé de battre des records d’appétit. À croire que la mer ça creuse !

Les moments festifs ne manquaient pas. Pour l’Épiphanie, on avait glissé deux fèves dans la galette maison : Célian a découvert la première par hasard, et Lucien a été subtilement guidé vers la seconde. Avec les couronnes qu’ils ont fabriquées eux-mêmes, ils étaient ravis de jouer les rois de l’Atlantique. Comme dirait Lucien « Poséidon, ça rime avec Napoléon ! ».

Le 13 janvier, jour de mon anniversaire, le premier grain de la traversée est tombé pile à midi, juste au moment où on s’installait pour déjeuner. Une belle averse tropicale, comme pour marquer le coup ! Selim avait préparé un gâteau au chocolat avec une bougie improvisée en bout de cordage, et cette célébration simple restera gravée dans nos mémoires. Les grains, eux, ont continué à nous rendre visite dans les derniers jours, ajoutant un peu de piment à notre navigation.

Et que dire de la dernière nuit, celle de notre arrivée ! Une petite hirondelle a choisi notre bateau pour faire une pause. Elle a exploré le pont, puis s’est installée tranquillement dans le carré, indifférente au bruit des enfants surexcités. Arrivés à Saint-Charles de la Barbade à 23 h, nous avons terminé la nuit au mouillage. Au matin, elle était encore là, perchée près de nous comme un symbole. C’est d’autant plus marquant qu’on parlait justement de se faire tatouer une hirondelle, ce symbole des marins ayant parcouru 5000 milles nautiques. Elle a fini de nous convaincre !

On a fêté cette arrivée comme il se doit, avec une liqueur capverdienne. Bon, on est arrivés après Charles Dalin, à moins d’un jour près… mais qu’importe ! Cette transatlantique restera une aventure extraordinaire, entre moments d’émerveillement, fous rires et souvenirs impérissables. Franchement, Lucien avait raison : « 15 jours, c’est même pas long ! »

Tenerife (Canaries)
> São Vicente (Cap Vert)

12 Décembre au 18 Décembre _ durée : 6 jours

Après des mois de navigation ponctuée d’escales douillettes, nous voilà partis pour une véritable odyssée : une semaine en mer, sans escale ni terre à l’horizon. Une première pour l’équipage, et un avant-goût de la grande traversée à venir. Enthousiastes et un brin nerveux, nous avons levé l’ancre avec des rêves de rencontres marines spectaculaires. Les baleines ? Absentes. À la place, nous avons eu droit à des dauphins, comme toujours, mais grande nouveauté : à une pluie de poissons volants la nuit précédent notre arrivée. Ces petits acrobates ailés se sont écrasés en masse sur le pont, transformant Selim en sauveteur aquatique improvisé. Pendant son quart, il s’est appliqué à les remettre à l’eau, un par un, et ses mains, imprégnées de leur odeur tenace, s’en souviennent encore.

Au petit matin, surprise : cinq retardataires gisaient encore sur le pont, et l’inspection minutieuse du bateau dans les jours suivants a permis de découvrir trois autres morts. Ce carnage involontaire a toutefois offert une leçon de biologie impromptue aux enfants. Célian, surtout, a trouvé dans ces malheureux poissons des « poupées » inattendues, s’improvisant vétérinaire marin en herbe. Au moins un volontaire pour assumer pleinement l’odeur persistante de poisson et les rejeter à l’eau !

La traversée n’a pas été qu’une succession de quarts et de poissons volants : côté pêche, l’océan nous a gâtés. Nous avons sorti deux belles dorades coryphènes, dont les filets ont rapidement trouvé leur place sur nos assiettes, sublimés par une simple touche de citron et un brin d’épices venues directement du Maroc. Moment touchant cependant : l’un des compagnons de notre seconde dorade l’a suivi jusqu’au ponton, nageant fidèlement à ses côtés avant de disparaître dans le bleu profond. Une scène émouvante, qui nous a donné un petit pincement au coeur. Nous avons aussi croisé la route d’un petit thon. Trop jeune, il a mérité un sursis et a été relâché dans son élément.

Notre arrivée à Mindelo s’est faite sous un décor presque irréel. En guise de panorama, nous avons été accueillis par un épais brouillard ocre, cadeau tout droit venu du Sahara. Un air de déjà-vu qui nous a rappelé notre arrivée oranaise. La visibilité était si faible qu’il nous fallait jongler entre radar et vigilance accrue pour éviter les barques colorées des pêcheurs qui semblaient surgir de nulle part. Cette vigilance était d’autant plus cruciale que la baie est tristement célèbre pour ses épaves de bateaux et tankers abandonnés. Et pourtant, malgré cette atmosphère fantosmogatique, les façades colorées de la ville et les barques caractéristiques des pêcheurs ont mis du baume au cœur, un rappel joyeux que nous étions bien arrivés sur une île africaine.

Au large, l’Ilhéu dos Pássaros, un îlot rocheux semblant flotter entre ciel et mer, nous a salués de sa silhouette imposante. Cette sentinelle naturelle, emblématique de São Vicente, semblait marquer l’entrée officielle dans un nouveau chapitre de notre aventure. Une fois dans la marina, l’accueil fut aussi francophone que chaleureux. Nous retrouvions des accents familiers, confirmant que Mindelo est une étape incontournable pour les navigateurs transatlantiques. Entre Agadir et ici, pas de doute : nous suivons la grande diagonale des marins français en route pour l’autre côté de l’océan.

Mais avant de réfléchir à la suite, priorité absolue : manger. Après sept jours de roulis et de rations maritimes, le bar flottant de la marina nous tendait les bras comme une oasis dans le désert. Enfin une table immobile, un bon repas, et l’effervescence d’un nouveau port à explorer. Mindelo nous accueillait à bras ouverts, prêt à nous dévoiler ses couleurs, ses musiques et ses surprises.

Lanzarote (Canaries)
> Tenerife (Canaries)

26 Novembre au 27 Novembre _ durée : 26 h

C’est tard dans la matinée que nous avons quitté Lanzarote, après une première bêtise de nos lutins, Police et Marina, qui nous ont rejoint à Lanzarote. 

Notre traversée vers Tenerife, quant à elle, s’est déroulée dans une belle sérénité. Même si la pêche n’a pas été clémente. Une touche prometteuse a brièvement fait battre nos cœurs, mais la ligne a lâché avant qu’on puisse transformer l’essai. Décidément, le poisson du jour avait choisi de rester libre.

Heureusement, côté spectacle marin, on a été comblés : des ciels magnifiques, des dauphins pressés qui nous ont salués de loin à l’arrivée. Et à l’approche de Tenerife, un globicéphale a fait une apparition brève mais surprenante. De quoi remonter le moral des troupes après notre défaite piscicole.

« Même pas trop long, » a résumé Célian, devenu philosophe des traversées, désormais habitué aux nuits à bord. Et il avait raison : pas de malades, une mer agréable, et même du temps pour avancer sur les devoirs (car oui, on bosse un peu, entre deux aventures).

Ainsi, Tenerife nous accueillait sous le signe du calme et de la promesse d’autres moments magiques.

Agadir (Maroc)
> Lanzarote (Canaries)

26 Novembre au 27 Novembre _ durée : 40 h

Le départ d’Agadir s’est fait, comment dire… au rythme des autorités locales. Vous savez, ce petit tempo nonchalant qui donne à chaque procédure l’allure d’un marathon sans chrono. Une fois le précieux feu vert obtenu, nous étions prêts à lever l’ancre. Mais nous n’étions pas seuls : trois bateaux, presque en formation, ont quitté le port à quelques minutes d’intervalle. En mer, on se retrouvait à jouer à « Suivez le leader », sauf qu’ici, tout le monde avançait à 5 nœuds.

Moment de gloire pendant la traversée : on a pêché notre premier thon ! Un joli spécimen, de quoi nourrir tout l’équipage à l’arrivée. Jean-Luc, toujours prêt à relever un défi culinaire, s’est transformé en chef étoilé. Résultat ? Un festin digne d’un restaurant de Lanzarote (sans l’addition salée).

Côté ambiance, c’était la traversée idéale. Pas une once de mal de mer, un luxe inestimable. On a pu savourer des activités simples mais tellement agréables : lecture, dessins pour les enfants, un peu de travail (parce que oui, même en mer, le devoir nous rattrape). Tout ça, bercés par une houle douce et régulière.

Tanger (Maroc)
> Agadir (Maroc)

10 Novembre au 13 Novembre _ durée : 3 jours

Ah, l’Atlantique… On nous l’avait décrit comme une promenade de santé après la Méditerranée : « Vous verrez, un vrai tapis roulant tout doux ! » Eh bien, laissez-nous vous dire qu’on a eu droit à un tapis roulant version montagne russe. Trois jours en mer, sans escale, avec une houle de travers qui a mis nos estomacs à rude épreuve. Même Célian, pourtant champion toutes catégories de la navigation, a fini par nous offrir une fresque abstraite sur les banquettes fraîchement lavées. Pourquoi, mais pourquoiiiii ? Seul Selim, stoïque, est resté imperturbable du début à la fin. Quel est son secret ? Si vous le trouvez, on est preneurs.

Heureusement, le troisième jour a relevé le niveau. Une mer enfin paisible, un équipage enfin en forme et pour couronner le tout, les dauphins ont fait leur grand show. Ils se sont fait désirer, mais l’attente en valait la peine : des petits, des grands, des centaines qui semblaient littéralement faire la fête autour du bateau. Une véritable rave party marine ! Pour conclure ce périple en beauté, notre ligne de pêche a fait des miracles : un maquereau dodu, parfait pour régaler l’équipage au complet. Verdict ? Délicieux, mais on garde quand même une petite rancune pour la houle du début.

Ceuta (Enclave Espagnole au Maroc)
> Tanger (Maroc)

5 Novembre _ durée : 5 heures

Enfin, le tant attendu passage de Gibraltar, et avec lui notre premier véritable contact avec l’Atlantique ! Un cap symbolique et un rien intimidant, puisque désormais, nous laissons la Méditerranée derrière nous. Mais avant de savourer ce grand saut, il a fallu gérer l’étape la plus technique : le réveil. Objectif départ à 8h ? Réveil à 7h… raté, levé à 7h30. On s’y prend à l’espagnole, doucement ! Cette fois, pas question d’y aller à l’aveuglette, car la traversée exigeait d’être minutieusement calée sur les marées pour prendre les meilleurs courants au passage de Gibraltar.

Malgré les prévisions de quelques jolis courants contraires, nous avons longé au plus près la splendide côte marocaine. Si proches, d’ailleurs, qu’à un moment, une fragrance florale, probablement du mimosa, s’est invitée jusqu’au pont : senteur douce et parfumée, rappelant à quel point nous touchions déjà le Maroc.

Une fois dans le détroit, les courants se sont vite imposés, avec deux bons nœuds de courant en pleine face pendant une bonne heure. Et niveau sécurité, il n’y avait pas de demi-mesure : avec les orques locales sur le CV du détroit, nous avions notre kit de fumées de détresse à portée de main. La dernière attaque remontait à mi-septembre, alors vigilance absolue.

Et ce passage ne nous a pas laissés de tout repos : entre les tourbillons qui secouaient le bateau, le risque de s’éloigner un peu trop des côtes (et donc d’empiéter sur le terrain des orques), et les casiers et filets de pêche placés çà et là, c’était un véritable ballet de précautions. Mais enfin, après des heures d’attention et un soupçon de chance, nous avons effectué nos premiers pas en Atlantique, sans encombre. Un passage mythique, qui nous fait désormais voguer vers des horizons nouveaux et salés, avec l’envie d’explorer ce nouveau terrain de jeu immense.

Melilla (Enclave Espagnole au Maroc)
> Ceuta (Enclave Espagnole au Maroc)

1er Novembre / 2 Novembre 2024 _ durée : 28 heures

Après quelques jours à Melilla, l’ambiance nous semblait un peu trop sage, presque “trop bien rangée” pour nous. Alors, après une Halloween marquée par une soirée festive au bar du port et une tournée “truco o trato” pour récolter des bonbons dans les boutiques du centre-ville, nous avons pris le large, cap sur Ceuta, la seconde enclave espagnole.

Cette traversée-là restera gravée dans nos mémoires : les dauphins nous ont offert un spectacle nocturne à couper le souffle, virevoltant sous le bateau, illuminés par le plancton bioluminescent. La mer semblait parsemée de comètes bleutées et dorées ! Selim, l’âme rêveuse, y a vu des sirènes, tandis que Lucien, moins poète, les a comparé à des torpilles.

Le calme de la mer nous a permis d’emmener les enfants sur le pont de nuit, une exception que nous ne faisons jamais en navigation. À tour de rôle, ils ont observé les dauphins danser sous l’étrave, fascinés par cette lueur surnaturelle. Une vraie leçon de féerie maritime.

L’arrivée à Ceuta a été un peu plus sportive. Un orage assourdissant menaçait à l’horizon et, quand les premières gouttes ont commencé à nous rattraper, nous avons légèrement accéléré. Heureusement, il s’est rapidement détourné vers le nord. Entre-temps, les côtes étaient déjà visibles, et nous étions occupés à zigzaguer entre les bateaux de pêcheurs amateurs, avec des oiseaux plongeant de partout – de quoi regretter de ne pas avoir sorti notre propre ligne ! Après ces derniers slaloms, nous voilà enfin entrés dans Ceuta, bien décidés à découvrir ce nouvel avant-poste espagnol.

Port d'Oran (Algérie)
> Melilla (Enclave Espagnole au Maroc)

24 octobre / 25 octobre 2024 _ durée : 20 heures

Quitter Oran ne s’est pas fait sans une petite pointe de chagrin. Célian, notre grand sensible, avait le cœur gros en quittant ses nouveaux copains, et c’est Lucien qui, dans un élan de sagesse fraternelle, l’a réconforté avec des mots doux… Finalement, le vent a eu pitié de nos émotions : la mer a décidé d’être particulièrement calme, une traversée douce et sans mal de mer pour couronner notre séjour oranais.

Et comme si la mer voulait vraiment nous remonter le moral, les dauphins se sont invités pour un spectacle privé ! Ils sont restés à danser autour de notre étrave pendant une bonne partie de l’après-midi, plongeant et sautant autour de nous comme pour nous souhaiter bonne chance jusqu’au coucher du soleil. Selim nous a même raconté que c’est un signe de bon augure en mer – alors qui sait, peut-être que la chance a trouvé son chemin jusqu’à nous dans leurs éclaboussures ?

L’arrivée à Melilla s’est déroulée sans accroc, mais ce qui nous a vraiment surpris, c’est la taille impressionnante des ferrys qui entraient et sortaient du port comme une procession sans fin. Pour une enclave si petite, ce va-et-vient constant de mastodontes venus des Baléares semblait presque surréaliste. Heureusement, le hasard nous a placés à côté d’un compatriote installé à Melilla depuis six mois, qui, dans son rôle de “guide improvisé,” nous a donné un aperçu des bons coins de la ville.

Cala Saona / Punta Rasa (Formentera, Baléares, Espagne)
> Port d'Oran (Algérie)

12 octobre / 13 octobre 2024 _ durée : 36 heures (+ 3 heures de formalités à l'arrivée)

Ah, cette traversée Formentera-Oran, elle a bien mérité son surnom de « douche écossaise » ! Tout avait pourtant si bien commencé : un lever de soleil magnifique, une mer d’huile, sans la moindre houle, sans le moindre « vomito » à l’horizon – un luxe rare pour les marins que nous sommes.

Mais, première douche écossaise : alors qu’on était tout joyeux, canne à pêche en main, un énorme poisson casse la ligne ! Lucien, désespéré, se lamente sur son leurre perdu, comme si c’était un trésor national. Après d’intenses négociations (croyez-moi, il aurait pu être ambassadeur), nous obtenons finalement l’autorisation d’utiliser un autre leurre de sa « boîte d’anniversaure ». Et là, jackpot ! Une magnifique dorade coryphène avec ses reflets verts émeraude mord à l’hameçon. Dans nos têtes, nous étions déjà en train de la déguster, après une lutte acharnée… Mais, à un mètre du bord, elle s’est sauvée, la petite maligne ! Bon, au moins, on a récupéré le leurre, ce qui a évité à Lucien de passer en mode « grincheux professionnel. »

Mais c’est vers 21h que l’adrénaline a vraiment fait son entrée. La nuit était tombée, et là, une lumière étrange apparaît au loin, accompagnée d’un bateau sans AIS, faisant route en sens inverse. Soudain, deux zodiacs nous foncent dessus en sifflant comme des dératés. C’est suspect… trop suspect. D’autant plus qu’une vendeuse d’un ship nous racontait la veille l’histoire d’un client racketé en mer… Pas de temps à perdre, il faut fuir. Nous entrons en mode « invisible » : tout éteint, voile rentrée, moteurs à fond, et coupure totale des appareils électroniques. Selim, en mode espion avec ses jumelles infra-rouges, détecte que nous sommes bel et bien poursuivis. Les enfants, eux, s’endorment planqués dans une petite cachette, tandis que Selim et Jean-Luc prennent en charge la fuite. Autant dire qu’avec une pleine lune et un moteur de voilier un peu modeste, devenir invisible était plus compliqué que prévu.

Contactés en urgence, Stéphanie et Nuno (notre maître des langues) ont rameuté les autorités espagnoles et françaises. Pendant ce temps, les zodiacs nous rattrapent. Frayeur maximale : l’un d’eux, tout lumière éteinte, se retrouve à portée de main. Après quelques échanges verbaux musclés, on leur fait comprendre qu’on ne s’arrêtera pas. De toute façon, avec notre moteur sur le point de fondre et la mer qui commençait à se lever, ils ont fini par abandonner la chasse.

Une fois rassurés par le Cross Gris-Nez, nous avons repris notre souffle… mais pas pour longtemps, car le coup de vent annoncé pour la nuit nous est finalement tombé dessus. Selim et Jean-Luc, heureusement, avaient tout bien préparé. Bon, cela n’a pas empêché les « vomitos » de refaire leur apparition dès le réveil chez les deux estomacs les plus fragiles (Lucien et moi toujours), mais comparé à l’épisode précédent, c’était presque un détail.

Enfin, après une nuit agitée, nous approchons des côtes algériennes. La terre était à peine visible sous un nuage de sable du Sahara, donnant une ambiance orangée et étrange à l’horizon. Nous avons hissé le drapeau de courtoisie, et hop, voilà les garde-côtes algériens qui arrivent, inquiets de ne pas nous voir à l’AIS (promis, pourtant, il était bien branché… si, si).

Escortés jusqu’au port, nous avons eu droit à l’accueil traditionnel : trois bonnes heures de paperasse ! Et cela, même avec un piston ! Ahhh, l’Algérie et ses formalités… un charme à part, qui conclut cette traversée haute en émotions.

Port de Santa Eulària des Riu (Ibiza, Baléares, Espagne)
> Cala Saona / Punta Rasa (Formentera, Baléares, Espagne)

12 octobre 2024 _ durée : 4 heures

Une magnifique traversée, presque insolite pour nous, car, fait rare, la destination était déjà à portée de vue dès le départ. Imaginez un peu : pas besoin de cartes maritimes compliquées, ni de boussoles mystérieuses. Juste l’horizon, clair comme de l’eau de roche, avec Formentera en toile de fond, prête à nous accueillir les bras grands ouverts.

Le temps, mes amis, était parfait. Un ciel sans nuages, une mer d’un calme olympien. À tel point qu’on s’est dit : « Chic, c’est l’occasion rêvée pour une petite session de pêche ! » Lucien, fier comme un marin chevronné, nous a proposé de tester sa fameuse boîte à leurres, pleine de promesses. Et hop, à peine 30 minutes plus tard, voilà qu’un superbe maquereau mord à l’hameçon, tout pimpant et frétillant. Même les poissons semblaient de bonne humeur ce jour-là !

En approchant des mouillages de Formentera, nous avons retrouvé nos eaux turquoises, si caractéristiques, éclatant sous le soleil comme une invitation à plonger sans réfléchir. L’éclat de ces eaux nous donnait presque l’impression d’être déjà arrivés au paradis – ou tout du moins, à une version très estivale du bonheur marin.

Une fois à bon port, notre maquereau fraîchement pêché est passé de la mer à la poêle. Et laissez-moi vous dire que, déguster ce fruit de nos efforts après une traversée aussi douce, c’était la cerise sur le gâteau – ou plutôt, l’oignon sur le poisson !

Port de Cabrera (Cabrera, Baléares, Espagne)
> Port de Santa Eulària des Riu (Ibiza, Baléares, Espagne)

2 octobre 2024 _ durée : 12 heures

Ohhh, la traversée tape-cul, c’était le festival des secousses ! Réveillée à 7h du matin pour affronter les 12 heures de navigation, j’ai tenté de faire la maligne en restant bien au chaud dans mon lit pendant que les hommes s’activaient sur le pont. Mais les premières vagues se sont vite chargées de me rappeler à la réalité en faisant claquer la cabine avant et en me secouant comme un prunier. Adieu, grasse matinée… 

Lucien, en bon petit marin, avait aussi tenté de dormir plus longtemps que nous, mais à peine sorti de sa couchette, il était malade comme un chien, la tête dans le seau. Je le comprends tellement, moi aussi, j’aurais bien voulu rester dans mon cocon ! Et puis il y a Célian, lui, le petit glouton, qui a mangé du départ à l’arrivée, comme s’il avait un mal de mer à l’envers. On aurait pu l’appeler le poisson gourmand.

Cette fois, les gamins n’ont pas retourné le bateau, Lucien étant trop occupé à dormir pour soulager son mal de mer. Du coup, Célian a décidé de nous faire le plaisir de squatter notre dos toute la journée. Je ne sais pas ce qui était le pire, au final : un gamin malade ou un gamin accroché à moi comme une moule sur un rocher ? 

Côté navigation, vent de face, bien sûr, jusqu’à 25 nœuds, mais cela n’a pas empêché les vagues de faire claquer l’avant du bateau et d’arroser le pont. Impossible de s’asseoir tranquillement et de profiter du paysage, tellement il était tape-cul.

L’arrivée au port a été salvatrice : un ponton, un restaurant de plage, et la journée fatiguante s’est achevée sur une note plus douce. Le port me donnait un petit air de Cap d’Agde, ambiance vacances, mais avec un léger goût de regret pour toutes ces heures de navigation qui ressemblaient plus à un rodéo aquatique qu’à une croisière tranquille.

Port de Pollença (Mellorca, Baléares, Espagne)
> Port de Cabrera (Cabrera, Baléares, Espagne)

29 septembre 2024 _ durée : 11 heures

Première traversée sans vomitos ni mal de mer ! Youhou, c’est un exploit digne d’une médaille ! Pendant que les enfants transformaient le bateau en parc d’attractions flottant, j’ai enfin pu plonger dans un bon bouquin sans avoir le tournis. Selim, lui, était aux anges : il avait enfin un compagnon de navigation digne de ce nom, un vrai fan de barre pour l’accompagner. Du coup, rien à signaler sur cette traversée. Pas ou peu de vent, juste du moteur qui ronronne tout du long à une allure tranquille de 6 nœuds. Bon, à part les côtes mallorquaises qui n’étaient pas franchement dignes d’une carte postale… disons qu’on avait vu des côtes plus jolies du côté de Minorque.

L’arrivée à Cabrera, par contre, c’était une autre histoire : magique ! Des petites îles désertes, des falaises imposantes, et bien sûr, le château qui nous surveillait avec toute sa majesté. Mais avant de nous sentir trop zen, les militaires débarquent pour vérifier qu’on avait bien notre réservation. Petit moment de stress : face au vent, fonçant gentiment vers les rochers, grande voile prête à être baissée… et eux qui ne retrouvaient pas notre nom. Heureusement, ils nous ont laissé finir la manœuvre avant l’échouage en règle. Problème réglé : on avait mis « Selim » au lieu de « Pytheas » sur le formulaire. Franchement, on n’était pas sorti d’affaire avec ça !

Et devinez qui a sauté direct sur son paddle à peine le bateau amarré ? Petit spoiler : il n’a que 6 ans…

Cala Galdana (Menorca, Baléares, Espagne)
> Port de Pollença (Mellorca, Baléares, Espagne)

12 septembre 2024 _ durée : 7 heures

Nous voilà partis cette fois vers Majorque, mais pas sans un dernier au revoir à Cala Macarella, parce qu’on ne pouvait décemment quitter Minorque sans profiter une dernière fois de cette cala qu’on aime tant (voire edit « Macarella : le retour » dans la section Minorque). Le lendemain, c’était reparti pour une traversée épique depuis Cala Galdana. Oui oui, car la houle nous embêtant, nous avions déjà migré vers Galdana la veille au soir. J’aurais dû me douter de quelque chose après une nuit malgré tout agitée… mais non, nous devions fuir le coup de vent annoncé sur Mahón. (Et notre compagnon de mouillage, resté sur place, nous a d’ailleurs confirmé quelques jours plus tard qu’ils prenaient bien cher).

Nous avons commencé par un premier hissage des voiles, et là, grain surprise. Hop, direction la plage de Son Saura, célèbre pour son côté sauvage, où on s’est réfugiés pendant une bonne vingtaine de minutes, le temps que l’averse passe. L’occasion pour moi d’arborer ma nouvelle veste de quart, offerte par Selim à Mahón. Autant dire que je brillais sous la pluie.

La traversée entre les îles ? Aussi terrible que la première. Lucien et moi, accrochés à notre seau, pendant que Célian, imperturbable, levait les bras comme sur des montagnes russes et réclamait à manger à chaque roulis. Mais, point positif : les dauphins ! Entre deux vomitos, ils sont venus nous distraire, en faisant le show sous l’étrave. Nous nous sommes relayés avec Selim à l’avant pour les admirer avant que l’un d’entre eux nous  offre un joli saut de départ, comme pour nous dire au revoir, avant de disparaître.

Carnon (France)
> Arenal den Castell (Menorca, Baléares, Espagne)

21 août / 23 août 2024 _ durée : 37 heures

Imaginez la scène : tous nos voisins de ponton réunis pour l’événement, la corne de brume qui rugit comme si on partait pour une mission spatiale. Un vrai festival d’émotions. Et là, bam ! Mes nerfs lâchent, et je me transforme au bout de quelques mètres en fontaine à larmes. Mais bon, pas le temps de sombrer dans le mélodrame, il fallait bien manœuvrer ce bateau, parce que, spoiler alert, on n’avait pas encore quitté le port !

La première traversée de cette transatlantique a été, disons-le sans détour, un véritable enfer. Secoués comme des pruniers, épuisés avant même d’avoir vu l’horizon se dégager. Lucien et moi, loin d’être « amarinés », avons passé le trajet à lutter contre le mal de mer, et autant dire que c’était une défaite totale.

On s’était pourtant fait des illusions, bercés par le souvenir enchanteur de l’été 2023, où nous avions fait cette même traversée avec des dauphins bondissant sous l’étrave, un soleil radieux, et une mer aussi calme qu’un lac. On pensait revivre ce rêve… erreur de débutant. Cette fois-ci, nous avons été accueillis par une houle démoniaque et des rafales à 30 nœuds. Une ambiance bien moins idyllique, au point de nous faire attacher comme des sardines à la ligne de vie pour ne pas passer par-dessus bord.

Quant à Lucien et moi, malades comme des chiens, nous n’avons rien avalé pendant 48h. Le pauvre, en plus de tout, a fini par vomir du sang, nous forçant à appeler le CCMM (Centre de Consultation Médicale Maritime). Heureusement, plus efficaces que n’importe quelle urgence, ils ont su nous rassurer en un temps record. Et pendant ce temps, Célian, lui, était frais comme un gardon et réclamait à tout va « un poulet au ketchup ! un poulet au ketchup ! » — histoire de nous achever pour de bon.

Pendant que je somnolais comme un zombie sur le pont, jetant de temps à autre un coup d’œil pour vérifier que Selim n’avait pas été emporté par les flots, ce dernier a dû gérer la traversée et les quarts de nuit en solo. J’étais littéralement HS, incapable de l’aider.

La deuxième journée s’est adoucie, mais Lucien et moi restions KO de la veille. Petite consolation dans cette tempête : nous avons tout de même eu la chance de croiser à trois reprises des bancs de dauphins. Oui, c’est maigre, mais c’est toujours ça de pris dans ce chaos aquatique.