Gibraltar
Côté anglais - juillet 2025
Notre arrivée à Gibraltar ressemblait davantage à un contretemps providentiel qu’à une escale planifiée. Le vent d’est, bien décidé à souffler avec toute la vigueur dont il est capable sur la mer d’Alboran, nous intima poliment mais fermement de rester à l’abri quelques jours. Zut alors… nous n’avions pas prévu d’y poser sac et amarres aussi longtemps. Certes, nous avions bel et bien l’intention de visiter le fameux Jabal-Tarik — puisque, à l’aller, nous avions opté pour la côte marocaine — mais nous pensions y consacrer une journée, pas une parenthèse entière. Finalement, ce délai imprévu eut un mérite : il me permit de rester sagement protégée du soleil, le temps que ma peau décide de muer à son propre rythme.
Une ville aux airs de vieux bastion
Installés côté anglais, nous nous sommes retrouvés plongés dans une atmosphère digne d’un décor de Black Sails. Les murailles épaisses, les pavés usés par des siècles de bottes marines, les tavernes à l’enseigne patinée : tout y était. À la différence près qu’ici, le rhum se sirote dans des verres à pied et que l’ombre de la Reine plane sur l’ensemble, conférant au bastion une élégance toute britannique. Nous avons d’ailleurs célébré cette immersion par un dîner gastronomique au restaurant Queens, aussi raffiné que son nom le promettait.
Pour moi, ce séjour fut aussi une période de convalescence : j’apprenais à apprivoiser mon masque demi-facial et surtout les regards intrigués qu’il suscitait. Quant à mes recherches de crèmes spécialisées — Cicalfate, Iasulet et consorts — elles se sont soldées par une série de sourires polis et une réponse invariable : « Il faut passer côté espagnol. » Tant pis. J’avais au moins de la vaseline.
Le rocher aux singes
Mais Gibraltar, au fond, c’est son rocher. Et qui dit rocher dit singes. Ces macaques de Barbarie, seuls primates sauvages d’Europe, sont devenus les véritables maîtres des lieux. Lucien, avec sa lucidité d’enfant, les a d’ailleurs qualifiés de « lutins farceurs », description qui n’aurait pas déplu aux anthropologues.
Le téléphérique nous a transportés au sommet, offrant une vue superbe sur la Méditerranée turquoise. Le chemin jusqu’à la cabine était ponctué d’affiches de prévention dignes d’un manuel de survie : ne pas nourrir les singes, ne pas les provoquer, ne pas sortir de sac plastique, ne pas laisser bébé sans surveillance… Le ton était donné.
À peine franchie l’entrée de la réserve, deux singes posaient sagement pour les touristes, parfaits figurants d’une carte postale. Mais quelques escaliers plus haut, le vrai spectacle commençait : une bataille rangée entre deux voleurs de sweat d’enfant (qui tentaient, non sans panache, de l’enfiler), des bébés bondissant d’arbre en arbre, d’autres chapardeurs transformant le toit des voitures en terrain de jeu. Et puis vint notre tour : un macaque téméraire nous repère et bondit sur mon dos. Selim, heureusement, veille et chasse l’importun avant qu’il n’ouvre le sac. Non loin, un autre plus agressif bondit devant Célian, qui pousse un cri strident digne d’un film d’épouvante. La descente de l’escalier attendra. Nous choisissons la route classique, plus large et plus sûre.
Nous avons ainsi pu découvrir toutes les autres curiosités du site : le Skywalk en plexiglas suspendu au-dessus du vide, la grotte de Saint Michael aux jeux de lumières colorés, et le Windsor Suspension Bridge, un pont qui nous a offert autant de frissons que la proximité des singes.
Après avoir affronté cette fois pour de bon l’escalier étroit sous l’œil goguenard des macaques, seul chemin qui nous ramenait direct au téléphérique, nous avons entamé la descente, ravis d’avoir survécu à leur monarchie poilue.
Le lendemain, un plein de diesel détaxé plus tard (l’autre grande spécialité locale, avec les bijoux clinquants), nous hissions les voiles à nouveau, bien décidés à filer vers l’est avant que ce fameux vent contraire ne change encore d’avis.